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Actualité volcanique, Articles de fond sur étude de volcan, tectonique, récits et photos de voyage

Volcans et climat.

En guise d’introduction au thème  « L’action des volcans sur le climat », une analyse de la catastrophe climatique qui a marqué les années 535et 536, sur base d’écrits historiques et corroborée par des études récentes.

 

books 004- Procope de Césarée (en grec Προκόπιος Καισαρεύς), est un historien byzantin du 6° siècle, dont l'œuvre constitue un récit détaillé du règne de l'empereur Justinien. Il raconte que : « Au cours de l’année 536, un présage d’épouvante se manifeste. Le soleil délivre sa lumière sans brillance, il ressemble de plus à un soleil en éclipse, il ne rayonne pas de façon nette ».


- Cassiodorus, un sénateur romain, écrit aussi : « nous avons un hiver sans tempêtes, un printemps sans douceur, un été sans chaleur. … nous trouvons deux éléments contre nous : un gel perpétuel et une sécheresse non naturelle ».


- Des documents d’époque, datés du règne du Roi Arthur en Angleterre, parlent d’un terrible « brouillard sec » obscurcissant le soleil, causant l’échec des cultures en Europe, et responsable des étés froids, secs, et accompagnés de famine en Chine.

treeRings.jpgLes analyses dendrochronologiques (*) européennes ont confirmé de nombreuses années de faible croissance, à cette époque ; de même que celle des carottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique a révélé une teneur élevée en poussières atmosphériques sulfureuses.

 

(*) : La dendrochronologie est une méthode scientifique permettant en particulier d'obtenir des datations de pièces de bois à l’année près en comptant et en analysant la morphologie des anneaux de croissance (ou cernes) des arbres. Elle permet également de reconstituer les changements climatiques et environnementaux.

 

dendrochronologie---Larsen.jpg                                           Pic dendrochronologique en 536 - doc. Larssen.

 

- Les écrits historiques de Michel le Syrien, un patriarche de l’église orthodoxe Syriaque, en témoignent aussi : « Le soleil s’est obscurci et cette obscurité a duré 18 mois. Chaque jour, il ne s’est montré que durant quatre heures, et sa lumière était faible. Les fruits ne mûrissent pas et le vin a le goût des grappes acides » … ces écrits furent analysés par la Nasa , car ils mentionnent des changements climatiques, connus maintenant pour leur lien avec les éruptions volcaniques.

 

Divers évènements au niveau mondial accompagnent cette période de catastrophes agricoles et d’émergence de la peste : la mort de civilisations anciennes, en Perse, en Indonésie, celle de la culture Nazca en amérique du sud et de civilisations en Arabie du sud, le schisme de l’Empire romain, la renaissance d’une Chine unifiée, l’origine et l’extension de l’Islam …

 

mount_pinatubo_1991---planet-techno-science.jpg         Une éruption à impact climatique global : le Pinatubo en 1991 - photo Planet-techno-sciences.

 

Les hypothèses émises par les scientifiques pour expliquer cette calamité climatique sont de plusieurs ordres, et bien que celle de la collision avec un astéroïde ou une comète soit séduisante, on retiendra plutôt que ces évènements furent causés par une éruption volcanique massive.

Cette éruption a envoyé tant de dioxyde de soufre dans la stratosphère qu’un « hiver volcanique » en a résulté.

  4-12-06-eruption.jpg

                                  Formation, dispersion et effets des aérosols stratosphériques .


Le dioxyde de soufre réagit avec les molécules d’eau pour former des micro-gouttelettes d’acide sulfurique et un aérosol hautement réfléchissant, qui va induire une réduction de la quantité de lumière solaire entrante dans notre atmosphère.

Pour obtenir de tels effets sur le climat, il faut avoir affaire à des éruptions « colossales », de VEI 6 ou 7, de puissance telle qu’on n’en rencontre qu’une tous les millénaires.

 

Le VEI – Volcanic Explosivity Index –  est une échelle logarithmique utilisée pour qualifier l’importance d’une éruption volcanique. Créée par Newhall et Self, en 1982, elle intègre les données quantitatives et la description subjective d’observateurs pour donner à chaque éruption un degré de magnitude. Son échelle va de 0 à 8. Le tableau ci-dessous est une mise à jour du Global Volcanism Program, par Simkin et Siebert (1994) sur base de l’échelle de Newhall et Self.

 

vei.jpg             Tableau caractérisnt l'index d'explosivité volcanique - doc. Global Volcanism Program.

 

Attribution des effets climatiques :

 

La calamité climatique des années 535-536 n’est toujours pas attribuée avec certitude : deux volcans du sud-est asiatique sont mis en cause, individuellement ou peut-être ensemble.

- L’éruption du Rabaul, situé en Papouasie-Nouvelle Guinée, et en rapport avec la formation de sa caldeira, est datée au radiocarbone de 540 +/- 100 ans ; Son VEI est de 6 pour un volume de téphra émis de 11 milliards de m³.

 

- Des écrits Chinois et Indonésiens – dont le « Livre des anciens rois » , le « Pustaka Raja Purwa » - décrivent de rares phénomènes atmosphériques pouvant être liés à l’éruption d’un volcan de l’arc indonésien … en cause celle du Proto-Krakatau.

Une expédition d’Haraldur Sigurdsson a permis de retrouver des dépôts pyroclastiques épais suggérant un effondrement de caldeira marquant le Proto-Krakatau, daté du 6° siècle.

La bathymétrie confirme une caldeira de 40 à 60 km. de diamètre effondrée sous le niveau marin ; comme le suggère les anciennes histoires Javanaises, cet effondrement pourrait avoir créé le détroit de la Sonde, séparant Sumatra de Java.

 

Krakatau9a.jpgSumatra, Java et le détroit de la Sonde ... avant et après l'éruption du Proto-Krakatau - doc. Los alamos National Laboratory / K. Wohletz. 


La formation d’une telle caldeira implique l’éruption de plusieurs centaines de kilomètres-cubes de débris pyroclastiques  et une interaction entre le magma et l’eau de mer à une échelle énorme. Des simulations par ordinateur nous donnent des chiffres impressionnants : un panache montant entre 25.000 et 50.000 mètres, accompagné de la vaporisation de 50 à 100 km³ d’eau de mer dans l’atmosphère, formant, selon le Los Alamos National Laboratory, une couche de nuages de glace et poussières super fines (< 10 µ) couvrant les deux hémisphères.

 

Proto-Krakatau-eruption-535.jpgCarte de l'Amirauté britannique et position présumée de la caldeira du Proto-Krakatau. - doc. Los alamos National Laboratory / K. Wohletz.

 

Une ancienne carte de l’Amirauté Britannique, d’avant l’éruption du Krakatau en 1883, témoigne de zones de faibles profondeurs dans le détroit et de la présence des îles de Krakatau, Bezee, Sebooko, et Rajah Bassa ; ces îles seraient les vestiges d’évents volcaniques entourant les flancs du Proto-Krakatau, prédécesseur du Krakatau. En mettant en communication ces évents, on délimite une caldeira d’un diamètre d’environ 50 km., centrée dans l’actuel détroit de la Sonde, à 20 km. au nord-est du Krakatau.

 

Certes l’étude des panaches volcaniques, de leur dissipation, de leur impact sur l'albédo (*) global, la hauteur de la tropopause (*) et l’ozone stratosphérique est à parfaire … elle fera connaître l’impact de certaines éruptions sur la déstabilisation du climat pouvant atteindre les années suivants celle-ci, et parfois toucher plusieurs décades.

Sociologiquement, l’effet-domino que ces phénomènes peuvent avoir sur l’agriculture, l’économie, la politique et la religion révèle le rôle du volcanisme et démontre, si besoin en est, l’intime lien entre la nature et la vie de l’homme.


(*) : L'albédo est une grandeur sans dimension, rapport de l'énergie solaire réfléchie par une surface à l'énergie solaire incidente.

La tropopause est la limite supérieure de la troposphère et la limite inférieure de la stratosphère. Il s'agit d'une couche plus ou moins épaisse où la température est stable alors qu'on observe une décroissance de celle-ci dans l'atmosphère à partir du sol et une augmentation par la suite dans la stratosphère à cause de l'absorption des rayons ultraviolets par l'ozone. La tropopause est ainsi la partie la plus froide de la basse atmosphère (-50 à -65 °C)

 

Sources :

- Global Volcanism Program - VEI

- “Were the Dark ages triggered by volcano-related climate changes in the 6th century ? – by Ken Wohletz / Los Alamos National Laboratory. - link

 

Effets des éruptions explosives sur le climat :

 

Une éruption volcanique peut avoir, comme nous l’avons illustré dans l’article précédent, de nombreux effets sur l’atmosphère et la météorologie.

 

 

Il convient de distinguer

- les effets sur la troposphère, qui sont généralement limités dans l’espace et le temps

- des effets stratosphériques, qui peuvent concerner l’entièreté du globe et durer des mois voire des années ; seuls ces effets sont responsable de la création « d’hiver volcanique ».


atmosphere.jpg

Les différentes couches de l'atmosphère - avec leur hauteur respective- la pression et la température

 

556                        Dispersion des panaches volcaniques dans la Troposphère et la stratosphère                       

                              doc. Reutgers University / Alan Robock, dépt. environmental sciences . 

 

Les gaz et poussières éjectés dans la stratosphère se répartissent rapidement sur une grande surface, en raisons des courants aériens.

Certains gaz réagissent avec l’air et l’humidité pour former des aérosols qui perturbent la transmission du rayonnement solaire. Le dioxyde de soufre e.a. réagit avec l’eau atmosphérique et forme des micro-gouttelettes d’acide sulfurique.


Cette perturbation de la transmission du rayonnement solaire a un double effet :

- à basse altitude, on observe une diminution des températures

- dans la stratosphère, les aérosols déclenchent, par effet de serre, une augmentation de température et une perturbation des courants de la haute atmosphère.

 

Ces effets, en général limités dans le temps, peuvent perdurer quelques années, dans le cas d’éruptions puissantes.

 

 

 Une éruption volcanique agit donc sur le climat en fonction

de la violence de l'éruption,

de la composition des éjectats,

mais aussi de la position du volcan. Un volcan situé dans la zone équatoriale disperse plus largement et plus rapidement ses aérosols dans l'atmosphère et a donc plus facilement un effet global sur l'atmosphère.

de la date d'éruption dans l'année

de l'état du système climatique au moment de l'éruption (par exemple la vigueur de l' Enso - El Nino and Southern Oscillation - phénomène climato-océanographique reliant El nino et l'oscillation australe de la pression atmosphérique.

 

Effets d’une éruption explosive située en zone équatoriale sur le climat :

 

Dossier-22-0259.JPG

Dossier-22-0260.JPG

Tableaux des effets d'une éruption explosive tropicale de grande ampleur sur le climat, et des mécanismes d'action - avec délai de début d'interaction et durée de ceux-ci - doc. Reutgers University / Alan Robock, dépt. environmental sciences .              (NH : North Hemisphere)

 

Effets d’une éruption située à de hautes latitudes :

 

Dossier-22-0261.JPGTableaux des effets d'une éruption explosive de grande ampleur située à une latitude élevée, sur le climat, e de leurs mécanismes d'action - avec délai de début d'interaction et durée de ceux-ci - doc. Reutgers University / Alan Robock, dépt. environmental sciences.

 

Au cours des jours suivants, examens de quelques éruptions historiques avec impact climatique ... Toba, Santorin, Laki, Krakatau, St Helens, El chichon et Pinatubo.

 

Pinatubo-91---Karin-Jackson-USAF.jpg                                             Pinatubo éruption de 1991 - photo K.Jackson USAF

 

Sources :

- Rutgers university - Volcanic eruptions and climate - by Alan Robock, professor dept. Environmental sciences and Clive Oppenheimer - 11.2009 - link - link 2.

- Les éruptions volcaniques et leur impact climatique en Europe du 18° siècle à nos jours - par Helena Xoplaki, Université de Berne, météorologie et climatologie - 09.2010

 

L'éruption du Toba -il y a 73.000 ans :

 

Lorsque le volcan Toba, situé sur l’île indonésienne de Sumatra est entré en éruption il y a 73.000 ans, ce fut l’éruption ultra-plinienne cataclysmique la plus importante des derniers 28 millions d’années.

Actuellement, le Toba est connu comme le plus grand lac volcanique au monde, 100 km. de long sur 35 km. de large. Ce n’est qu’en 1949 que le géologue Néerlandais Rein van Bemmelen démontra que ce lac idyllique était en fait une gigantesque caldeira volcanique, cernée d’ignimbrites.

 

Lake Toba depuis Samosir - Bernard Gagnon               Le lac Toba , depuis Samosir  et ses maisons Batak - photo Bernard Gagnon.


Cette caldeira, considérée comme la plus grande de l’ère Quaternaire, s’est formée au cours de quatre éruptions ignimbritiques majeures durant le Pléistocène, à partir d’il y a 1,2 millions d’années. L’épisode daté de 800.000 ans a produit le OTT – Old Toba tuff, celui daté de 500.000 ans le MTT – Midddle Toba Tuff … et le dernier en date, il y a 73.000 ans, le YTT – Young Toba Tuff.

L’île de Samosir est un dôme de résurgence daté d’après ce cataclysme, ainsi que les blocs de la péninsule Uluan. L’activité s’est ensuite poursuivie avec la mise en place d’une série de dômes de lave, la croissance du Pusukbukit au sud de la caldeira et la formation du Tandukbenua au nord-ouest.

 

toba caldeira                                                          La caldeira du Toba et ses structures.

 

Toba2---Will.Bowen.jpg       Le lac Toba - doc. Prof. Dr. William Bowen - California Geographical Survey d'après doc. Nasa


L’éruption d’il y a 730.000 ans en chiffres :

- Les coulées de lave, estimées à 1.000 km³, ont couvert une surface de 20-30.000 km² d’une épaisseur moyenne de 50 mètres (allant par place jusqu’à plus de 400 m. d’épaisseur). Le température de sortie était d’environ 750°C, à l’immobilisation de 550°C, refroidissant en quelques jours aux environs de 100°C. en surface, mais restant plus chaude en interne.

 

Toba coulées de lave Weber                                               Extension des coulées de lave - doc. G.Weber.


- Les matériaux expulsés, ignimbrites et cendres, sont estimés à 2.800km³, soit un ratio de sortie, pour un temps d’éruption entre 9 et 14 jours, de 8 millions de tonnes par seconde (Rose W.I. 1990).

Les retombées de cendres ont recouvert une grande partie du sud-est asiatique, une partie des îles de la Sonde, les îles Andaman et Nicobar, tout le sous-continent Indien et Ceylan. Un exemple en Inde, sur la carte au n°6 rouge, l’épaisseur des cendres était de 6 m. (Archava S.K. 1993). La composition des cendres de l’YTT – Young Toba Tuff – est particulière et permet de ne pas attribuer les couches de cendres rencontrées à d’autres éruptions volcaniques régionales.

 

Toba ash falls -pumice floatsI limits the area in which Toba fallout (YTT) has been found or where substantial amounts
of fallout are likely to have been deposited.

I indicates likely locations of Toba pumice floats washed up on beaches 

red numbers: traces of Toba ash found on land 

blue numbers: traces of Toba ash found at the bottom of the sea

Archaeological sites with tools and bones lying below Toba ash (and therefore older than 73,000 years) are red numbers 1 (in Malaysia) as well as 5, 7, 8 and 10 (in India) in the map     /  Doc. G.Weber

 

Selon la « Toba catastrophe theory », la « méga-collossale » éruption du Toba a été 3.500 fois plus importante que celle du Tambora en 1815. Le Global volcanism Program lui a attribué un VEI de 8.

Selon les simulations, la quantité de dioxyde de soufre relâchée dans la stratosphère fut si importante qu’elle ne pu être oxydée en totalité en aérosol sulfurique, laissant un énorme réservoir de SO2 dans la stratosphère. Cette quantité surnuméraire n’a réagit qu’au fur et à mesure de la production de radicaux hydroxyles nécessaires … ce qui inclut une action sur le climat d’une durée supplémentaire de 1 à 2 ans par rapport à la durée remarquée pour des évènements causés par des éruptions de VEI 6-7.

 

Un diagramme comparatif des émissions de SO2 et d’aérosols sulfatés pour l’éruption du Toba versus celle du Pinatubo, en 1991, illustre la fabrication prolongée d'aérosols  en fonction de l’énorme masse au temps zéro. ( data Read et al. 1993- Bekki et al. 1996 -  in Oppenheimer 2002).

 

Dossier-22-0275.jpgTotal mass of sulfur dioxide and sulfate aerosol in the stratosphere (heavy solid and dotted lines, respectively) modeled for a 6 petagram stratospheric injection of SO2.

 

L’éruption du Toba a causé le refroidissement du globe terrestre durant une période de 6 à 10 ans, laps de temps suffisant pour induire une période glaciaire, à supposer que les autres conditions pour y mener soient réunies. Rampino et Self ont estimé, en 1992, que le voile d’aérosols sulfuriques était suffisamment épais et de longue durée pour causer un refroidissement de 3 à 5°C. Ils suggèrent que la réaction du territoire du Canada, vis-à-vis de cette éruption, a joué un rôle important : les températures y ont baissé de 12°C en été, favorisant la croissance de la couche de glace des Laurentides, augmentant l’albedo, réfléchissant encore plus la lumière solaire et par effet « boule de neige » réduisant d’autant la température.

 

Cette baisse des températures pourrait avoir affecté l’espèce humaine, et influencé le développement et l’épanouissement d’Homo sapiens, en réduisant la population à quelques 10.000 familles.

Imaginons l’impact d’une telle éruption à l’heure actuelle : avec les rations alimentaires limites compte tenu d’une population mondiale en expansion, la disponibilité en baisse des ressources en eau potable, une telle éruption avec ses conséquences climatiques, engendrant un effondrement des productions agricoles, aboutirait à une famine généralisée et des guerres pour l’appropriation des ressources ... en route vers le chaos !

 

La « Toba catastrophe theory » est battue en brèche par Oppenheimer, qui considère que la baisse des températures ne fut que de 1,1°C pour le 1.000 ans suivant l’éruption.

 

Une animation intéressante pour l'été, Vulcania met le Toba à l'honneur en 2011, avec : "Mission Toba".

 

Sources :

- Global volcanism Program – Toba

- Andaman.org – Toba volcano – by George Weber - link

- Andaman.org - Toba : through the bottleneck and human evolution - link

- Bradshaw foundation – Late Pleistocene human population bottlenecks, volcanic winter and differenciation of modern humans – by St.H.Ambrose , University of Illinois. - link

 

La disparition du Kuwae et la chute de Constantinople :

 

Dans l’Archipel des Nouvelles Hébrides, la tradition orale relate, depuis plus de 500 ans, dans une légende la disparition, au cours d’un cataclysme volcanique, d’une terre nommée Kuwae qui englobait les îles actuelles d’Epi et Tongoa / Vanuatu.

 

514px-ShepherdIslandsMap.png

Cartes des iles sheperd dans la mer de Corail - situation de Kuwae en haut de la carte - doc. wikipedia.

 

De violents séismes et des glissements de terrain ayant précédé l’éruption, une partie des habitants ont pu gagner les îles voisines. Des dépôts épais de cendres et ponces —caractéristiques d’éruptions explosives de grande magnitude — recouvrent en effet ces îles. D’autre part, la découpe concave et l’abrupt des côtes se faisant face soulignent la présence d’une large caldeira sous-marine entre les deux îles. Des relevés bathymétriques ont permis de voir les limites de la caldeira et sa profondeur ; sa datation au radiocarbone, sur base de bois carbonisé, la fixe au 15° siècle.

 

Kuwae-brd-de-la-caldeira---Karoly-Nemeth-Massey-univ-jpgL'actuel rebord de la caldeira en partie sous-marine de Kuwae - photo Karoly Nemeth / Massey university


L’éruption de 1452 :


Au cours de l’année 1452, une éruption de VEI 6, initiallement phréatomagmatique, a détruit l’île de Kuwae – coordonnées 16,83°S – 168,54°E – en créant une caldeira sous-marine de 12 km. sur 6, formée de deux bassins adjacents. Sur base des dimensions de la caldeira et de l’amplitude de l’effondrement, entre 800 et 1.100 m., le volume de magma dacitique éjecté est de 30 à 39 km³ . La magnitude de l’éruption est comparable à celles de Théra / Santorin en 1628 avant JC et de Tambora en 1815.

La formation de la caldeira est caractérisée par un passage du stade initial hydromagmatique à un stade magmatique, avec l'émission d'un  grand volume d'ignimbrite. Elle se résume en trois phases :

- une activité hydromagmatique modérée et une activité magmatique au départ d'un évent central, étalée sur une période de quelques mois à quelques années et affectant une zone plus importante que celle de la présente caldeira.

- une activité hydromagmatique, avec production de dacite, suivie de deux coulées pyroclastiques et élargissement de l'évent. Un début d'effondrement de la caldeira marque le secteur sud-est de la caldeira.

- émission d'ignimbrites dacitiques soudées et extension de l'effondrement à la partie nord de la caldeira.

 

Cette éruption est enregistrée dans les glaces du Groenland et de l’Antarctique, sous forme d’un pic d’acidité correspondant aux années 1452-1457. Il reflète les retombées dues à la sédimentation des aérosols sulfuriques. Les calculs récents indiquent une quantité dépassant les 100 Tg.  d’H2SO4, la plus grande part des gaz relâchés au cours de l’éruption étant probablement contenue dans une phase fluide, séparée et riche en substances volatiles. Ces émissions sulfuriques dépassent celles produites par léruption du Tambora (1815) et du Laki (1783).


 

Kuwae2727.jpgComparaison des taux de sulfates émis par le Kuwae et le Tambora, dans les carottes glaciaires de l'antarctique (en haut) et du Groenland (en bas)  - doc. Gao-Robock-Self & al.


Les changements climatiques provoqués furent perceptibles à l’échelle planétaire pendant plusieurs années, comme le montrent de nombreux écrits relatant un climat anormalement froid en Asie et en Europe, et les études dendrochronologiques réalisées par le Jet Propulsion Laboratory.


- En Chine, les récits historiques du temps de la dynastie Ming rapportent , qu’en 1453,«  des chutes de neige incessantes qui ont endommagé les champ de blé au printemps » . Plus tard dans l’année, avec l’obscurcissement du soleil par la poussière volcanique, « plusieurs pieds de neige sont tombés sur six provinces, et des dizaines de milliers de personnes sont mortes de froid ». Au début 1954, « il neige durant 40 jours au sud de la rivière Yangtze et un nombre incalculables de personnes sont mortes de froid et de faim » . Lacs et rivières sont gelés , ainsi que la mer jaune jusqu’à 20 kilomètres de la côte.


- En Asie Mineure, l’éruption coïncide avec la chute de Constantinople ; les Ottomans, conduit par le sultan Mehmed II, commencent à assiéger la ville en avril 1453 , pour la conquérir le 29 mai.

Divers évènements étranges précédent la chute de Constantinople.

Les chroniques racontent que dans la nuit du 22 mai, la lune, symbôle de la ville, s’éclipse, accomplissant une prophétie sur la réddition de la ville. Le 25 mai, un orage s’abbat sur la cité … « il est impossible de se tenir debout sous la grêle, et la pluie tombe à torrents , inondant toutes les rues ». Le 26, tout Constantinople est noyée dans un épais brouillard … du jamais vu en mai dans cette partie du monde. Et le soir, quand le brouillard se dissipe, « des flammes s’engouffrent dans le dôme de Sainte Sophie, et leur lueur peut être vu des murailles »… d’après une interprétation moderne, il s’agit d’une comet_halley---08.03.1986-Ile-de-Paques--W.Liller-Nasa-gal.jpgillusion d’optique, due à l’intense réflexion de la teinte rouge des nuages au crépuscule, causée par la présence de cendres volcaniques.


- L’éruption du Kuwae, début 1453, magnifie l’apparition de la comète de Halley, en juin 1456: les astronomes de l’époque relatent la vision apocalyptique d’une comète rouge avec une queue dorée. 

Photo de la comète de Halley lors de son passage au dessus de l'île de Pâques le 08.06.1986, par W. Liller / Nasa gallery

 

Après l’éruption :


Le volcan sous-marin de Karua s’est installé et développé dans l’immense caldeira (60 km²) qui résulta du cataclysme de Kuwae . Ce volcan, dont l’ancrage sous-marin se situe vers 400 mètres de profondeur, affleure en 1897 et 1900/1901 suivi par de nouvelles manifestations en 1923 et 1925 ; il émerge en 1948 avec la construction d’une île d’environ 1,5 km de diamètre et 100 mètres de hauteur et disparaît en 1950. Il réémerge en 1959 et en 1971 et forme une île jusqu’en 1975. Entre ces périodes, des bouillonnements et des colorations sont assez régulièrement observés.

 

karua1---02.0971-IRD--Nat-Geo-New-Hebrides.jpg                   Karua, l'île yoyo, en 1971 - © National Geographic Society, New Hebrides / IRD


En 1997 à l’occasion d’une campagne d’observation de l’IRD dans le cadre du programme "d’étude et de surveillance des volcans du Vanuatu", le sommet du Karua, qui forme un large plateau au relief peu important, a été photographié et filmé par le sous-marin Pluto. Le dégazage du volcan sous-marin sous une douzaine de mètres d’eau confirme le maintien de son activité. Les plongeurs n’ont remarqué que la présence de quelques algues et de nombreux petits invertébrés (alcyonaires, ascidies, astéries) fixés sur des roches de quelques dizaines de centimètres de diamètre posés sur des cendres grises ou rougeâtres.

 

karua2---IRD-G.Bargibnt.jpg              Chapelet de bulles émises depuis la zone sommitale du Karua -  © IRD/ G. Bargibant 1997


Sources:

- Global Volcanism Program - Kuwae

- IRD - Kuwae - link

- Futura-Environnement : Karua, le volcan né d'un cataclysme - link

- The 1452 or 153 A.D. Kuwae eruption signal derived from multiple ice core records : greatest volcanic sulfate event of the past 700 years -  by C.Gao, A.Robock, S.Self & al. / Rutgers univ.

- Formation of the mid-fifteenth century Kuwae caldera b an initial hydroclastic ans subsequent ignimbritic erupion - by C.Robin, M.Monzier et JP.Eissen.

 

L'éruption Minoenne de Thera :

 

Une éruption cataclysmique a frappé une île des Cyclades, Théra, vers 1628 avant JC. laissant une vaste caldeira entourée d’importants dépôts de ponces et de poussières volcaniques.

L'île antique était appelée Kallistè (la plus belle) ou Strongylè (la ronde). Elle a été rebaptisée de Kallistè en Théra, à l'époque archaïque suite à la fondation d'une colonie dorienne par Théras, un héros thébain.
Le nom Santorin fut donné par les Vénitiens au 13°s. en l'honneur de St Irène (Santa Irini).
Après le rattachement de l'archipel à la Grèce en 1840, elle a repris son nom antique de THERA ... mais Santorin est toujours usité.

 

santorini2---bvba-ampersand.de.jpgLa caldeira de Théra, vue de Néa-Kameini, le volcan central - Crédit photo et lien vers Stromboli on line - avec l'aimable permission de Marco Fulle.
 

L’actuelle Santorin / Théra : L'archipel de Santorin est constitué de cinq îles; les deux principales, Santorin (Théra - Thira) et Thirasia sont séparées par une baie constituée d'une caldeira immergée.
Ces îles sont les vestiges d'une unique île - Kallistè - détruite partiellement lors de l'éruption Minoenne vers 1600 av.JC. au centre de l'archipel, Palea Kameni et Néa Kameni, qui constitue la partie active du volcan. La cinquième se nomme Aspronisi.

Le champ volcanique de Santorin est constitué de Santorin, des îles Christiana (20 km. au SO.) et du volcan submergé Columbus (7 km. au NE.)
Il est situé près du horst tectonique appelé "Amorgos ridge".


 

santorini_tectonic.gif                 Situation tectonique de Santorin sur l'arc volcanique des Cyclades. - Friedrich 1994

 

paleo_models_DRUITT91.gif                  Reconstituion de Théra avant l'éruption Minoenne - doc. Druitt & Francaviglia 1991.

 

L’éruption de l’âge de bronze :

 

Près de 40 km² de magma rhyodacitique ont été émis en plusieurs jours, et en quatre grandes phases.


La première phase fut une éruption de type plinien, éjectant poussières et ponces au départ d’un évent probablement situé au centre d’une île volcanique située dans la caldeira de Théra.

La colonne éruptive a atteint entre 36 et 39  km. (Pyle 1990). de hauteur et donc la stratosphère ; le ratio de décharge est estimé à 250.000 tonnes /sec.

 

Depots-er.Santorin---Lee-Siebert.jpg

Stratification des dépôts de l'éruption Minoenne : la couche basal, compacte et rosée, est formée des premières ponces déposées au départ de la colonne éruptive; puis ce sont des dépôts laminés peu colorés de surges pyroclastiques, émis au début de l'effondrement de la caldeira; enfin, la dernière unité, épaisse, est constituée de dépôts de coulées pyroclastiques - photo Lee Siebert / Smithsonian Inst. / GVP.

 

Ponces-sur-Thirasia---Stromb-.jpg

L'érosion a sculpté les ponces, ici sur Thirasia - photo J.Alean / Stromboli on line - avec l'aimable autorisation de Marco Fulle - lien vers d'autres photos

 

Les ponces et poussières retombées sur l’île ont atteint une épaisseur de plus de 6 mètres, pour un volume de magma émis de 2 km³. Les autres retombées se firent en direction est, suivant les vents dominants à cette époque. Les dépôts sont constitués à 90% de ponces rhyodacitique de teinte blanc rosé (70,5 – 71,4 % SiO2 – Druitt 1989).

minoanash1.jpgCette phase éruptive fut « sèche » et conduite par les gaz magmatique. Durant la phase de retombées des cendres, une zone de 300.000 km² fut plongée dans les ténèbres

Les phases suivantes furent  phréatomagmatique, et donnèrent lieu à des surges et coulées pyroclastiques … n’intéressant que la troposphère, malgré leur violence.

 

Retombées de cendres - d'après Friedrich / Decade volcano / Tom Pfeiffer.


Sa datation est encore aujourd’hui un sujet de polémique.

Les datations au radiocarbone la font remonter entre 1650 et 1600 avant JC. Ces dates sont contredites par les données archéologiques, qui situe l’éruption entre 1500 et 1450 avant JC.

Les analyses dendrochronologiques signalent une éruption importante en 1629-1628 avant JC., sans qu’on puisse l’attribuer avec certitude à Théra. Les années 1620 furent traumatiques pour les chênes d’Irlande, d’Angleterre et d’Allemagne, avec une diminution de productivité remarquée autour de 1628 BC.

Une réévaluation de la puissance de l’éruption fut faite en 2003, suite à des études faites sur les retombées de cendres. Elle est classée maintenant de VEI 7.


Certains scientifiques la relient à divers impacts constatés sur les sociétés de l’âge de bronze.

- L’écroulement soudain de la civilisation Minoenne serait due à cette éruption et au tsunami quelle a engendré lors de l’effondrement de la caldeira du volcan. Des traces du tsunami furent identifiée récemment sur la côte nord de la Crête, île située à 70 km. au sud de Santorin.

Les fouilles archéologiques ont mis au jour, à partir de 1969, une importante cité maritime près de Akrotiri, renommée pour ses magnifiques fresques … et appelée depuis "la Pompéï de l’âge de bronze", bien qu’aucun corps humain n’y fut retrouvé suite à l’évacuation préventive des lieux.


Akrotiri---Klearchos-Kapoutsis.jpg

                          Akrotiri - le site des fouilles - photo klearchos Kapoutis.

 

image11.jpg                  Fresques d'Akrotiri - "la cueilleuse de safran" - détail - photo Théra Foundation.



Elle est de plus reliée à divers mythes et légendes : la disparition de l’Atlantide et l’exode biblique; les dix plaies d’Egypte y seraient rattachés… mais ces liens restent du domaine de la spéculation.

 

- L’hiver volcanique déclenché par l’éruption Minoenne peut être rapproché de l’effondrement de la dynastie Xia et l’avènement de la dynastie Shang en Chine. Les écrits de l’époque parlent  "d’un brouillard jaune, d’un soleil pâle, de gelées en juillet, de famine et de dessèchement des cinq sortes de céréales ".


Sources :

- Global Volcanism Program – Santorini

- Decade Volcano – Santorini, The Minoan eruption ( c.a. 1645 BC ?) - link

- The Thera foundation - link

- Photos sur Stromboli on line

-     "       sur Decade Volcano

- Santorin sur ce blog : link 1 - link 2 - link 3 .

 

Le Laki, "volcan de la révolution" :

 

  Lakagigar, en  islandais, ou les cratères du Laki sont situés sur une ligne de fissures qui relie le Katla, au sud, au Grimsvötn au nord : sur cet axe, se situe aussi le volcan Eldgja.

 

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                                Lakagigar , les cratères du Laki  -  © Antony Van Eeten


Cette région de fissures, que les uns rattachent au Katla, d’autres au Grimsvötn, a produit une masse de lave record : sur une distance de 25 km., 130 cratères ont émis, entre 1783 et 1784,  14 milliards de m³ de lave basaltique et de gaz, dioxyde de soufre et acide fluorhydrique principalement. On estime que les fontaines de lave ont atteint une hauteur de 800 à 1.400 mètres. Considérée de VEI 4+ (GVP), on lui attribue cependant la première place quant aux émissions d’aérosols soufrés du dernier millénaire.


 

Cette gigantesque éruption, connue sous le nom « d’éruption du Laki » bien que celui-ci ne soit pas entré en éruption à ce moment, a eu des conséquences catastrophiques pour l’Islande, et aussi pour divers pays européens. Elle est aussi connue sous le nom de Skaftáreldar,  " les feux de la rivière Skafta ", ou encore Síðueldur.

Ce fut la seconde plus grande éruption fissurale basaltique des temps historiques, après celle de l’Eldgja en 935. Après une semaine de séismes, elle débute le 8 juin 1783 pour se terminer huit mois après, en février 1784. Au départ, une fissure s’ouvre au sud-ouest du volcan Laki ; les explosions sont d’abord phréatomagmatiques, puis après quelques jours, l’éruption  devient moins explosive, de type strombolien et ensuite hawaiien : elle déverse d’énormes quantités de lave qui s’engouffrent dans la vallée de Skafta et s’avancent sur 60 km. Au cours des 50 premiers jours , la fissure sud-ouest a vomi 10km³ de lave, soit un débit moyen de 5.000 m³ par seconde (soit deux fois le débit du Rhin à son embouchure). Le 29 juillet, une autre fissure s’ouvre au nord-est du Laki, émettant des coulées dans la vallée de Hverfisfljot ; l’activité se limite alors à cette fissure jusqu’en février 1784, à l’arrêt de l’éruption. (d'après M.Krafft)

 

37469 426367706440 645396440 5110821 384524 n copie                                                 La fissure du Laki - © Antony Van Eeten

 

Une fissure s’étendant sur plus de 25 km. est née, où sont disposés des rangées de cônes de scories, de cônes de tuff et de spatter cones d’une hauteur moyenne de 40-70 mètres. La surface couverte par la lave est de 565 km².  

De plus, le volcan Grimsvötn entra lui aussi en éruption de 1783 à 1785.

 

eldgja laki hraun2                  Les coulées du Lagagigar (en brun) et de l'Eldgja (en rouge) - doc. Eldgos.is


Seuls 2,6% des matériaux d’éruptions furent des tephra ; cependant les chutes de cendres s’étendirent  au continent européen. La colonne éruptive du Laki charria surtout des gaz à une hauteur de 15.000 mètres … ces gaz formèrent dans la stratosphère des aérosols principalement composés d’acide sulfurique, responsable d’une baisse de température affectant l’hémisphère nord de 1 à 3°C.

Ils furent poussés vers l’Europe, sous l’influence d’un puissant anticyclone centré durablement sur le nord de l’atlantique durant cet été 1783.

 

Dossier-23-0263.JPGDistribution troposphérique (15%) et stratosphérique (80%) des émissions du Laki - doc. Thordarson et Self / Rutgers univ. Alan Robock.

 

Dossier-23-0276.JPGTableau des changements de température (en Nouvelle Angleterre) suite à l'éruption du Laki - et concentrations en acides relevées dans les carottes glaciaires du Groenland - in Volcanism, by H-U Schmincke.

 

Les dégâts furent considérables en Islande : la brume toxique fut responsable de la mort d’une grande partie du bétail, contaminé par l’ingestion de fourrages imprégnés de fluor, de la perte des cultures suite aux pluies acides, et de la mort, suite à la famine, de 9.000 personnes, soit un quart de la population.

 

Dossier-23-0266.JPGDates d'apparition du brouillard du Laki  et son extension sur l'hémisphère nord - doc. Rutgers univ. /Alan Robock.

 

 

Les conséquences en Europe:

En Grande-Bretagne, l’été 1783 fut connu comme le « sand summer » à cause des chutes de cendres.

On estime le total des gaz émis à 8 millions de tonnes de fluor, et 120 millions de dioxyde de soufre, à l’origine de ce qu’on appellera « les brumes du Laki » qui se déversèrent sur l’Europe, et causèrent la mort de milliers de personnes durant l’année 1783 et l’hiver 1784.

Prague fut atteint le 17 juin 1783, Berlin le 18 juin, Paris le 20, Le Havre le 22 juin … le brouillard était si épais que les bateaux ne pouvaient naviguer. Le soleil fut décrit comme « coloré par du sang » , teinte qui influença divers peintres.

Un témoignage du curé de Morfontaine, en Meurthe et Moselle, :"L’Europe entière a vu successivement et avec un égal étonnement un brouillard sec qui, pendant une grande partie des mois de juin et juillet, interceptoit les rayons du soleil et de la lune et donnoit à ces deux flambeaux une couleur de sang ; et beaucoup d’épidémies affligeantes, grandes sécheresses, cependant bonne récolte, mais peu abondante."

L’hiver 1784 fut terrible , causant 8.000 morts supplémentaires en Grande-Bretagne ; il fut suivi au printemps d’inondations importantes en Allemagne et en Europe centrale.

 

Michel Lecouteur a spécialement étudié la surmortalité causée par ce brouillard soufré sur un grand nombre de régions Françaises et Belges.

Le tableau ci-dessous reprend un recensement effectué sur 430 paroisses, où on constate une surmortalité au cours des mois d'août à octobre 1783, ainsi qu'en décembre 1783, et janvier-février 1784, après que les brumes aient séjournées sur le territoire entre juin et septembre 1783.


Dossier-23 0283

Histogramme sur 430 paroisses Françaises et belges, pour un total de 76.000 décès - doc. Lecouteur Michel. (année 1782 en bleu, 1783 en bordeau, 1784 en blanc)

 

Un témoignage intéressant du curé de Brulon, dans la Sarthe, extrait de ses annales rédigées en vieux Français : pour l'an 1783, " cette année offre plusieurs évènements dignes d'attention : l'été et l'automne ont été très beaux et très chauds. Il y a eu une récolte abondante en très bons bleds ( blés), grande et bonne vendange, des pommes en si grande quantité que les arbres ploient (...) pendant les mois de juin et juillet, dans presque toute l'Europe, l'atmosphère était remplie d'une espèce de brouillard ou plutôt de vapeurs qui désoloient le soleil, et quand on l'aperçoit, on le regardoit aussi fixement que la lune sans être ébloui. Tout le peuple en étoit épouvanté et disoit que nous allions vers le jugement  (...) dans le mois d'août et le reste de l'automne, les trois quarts du monde ont été malades et on trouvoit  quatre, cinq et même six malades par maison ..."

Le docteur Lepecq, médecin des épidémies en Normandie, mais aussi météorologiste, géographe,géologue et sociologue, décrit des brouillards secs, des "irritations de l'estomac et des entrailles, des coliques vives et des diarrhées fatiguantes". Il ajoute que "les vallées de Seine étaient désolées par les fièvres continues, rémittentes, bilieuses qui prenaient souvent un type malin ". Il constate une recrudescence du scorbut et des fièvres intermittentes (du paludisme, endémique à cette période dans les zones tempérées), frappant surtout les enfants de moins de cinq ans.

Les chroniques françaises rapportent "que le pain et la viande gelaient sur la table, et les corbeaux en plein vol ".

Ag.Desperret 3°éruption du volcan de 1789Le temps resta perturbé les années suivantes : durant l’été 1878, une ligne de grain orageux traversa le pays du sud au nord, détruisant les récoltes … on pesa des grelons de 5 kg. La famine régna et la situation fut si désespérée que ces modifications climatiques furent considérées comme UN des éléments influent sur la révolution française de 1789 et la fin de la royauté.


"Troisième éruption du volcan de 1789" - Lithographie d'Auguste Desperret.

Voir l'article "le volcan de la Révolution", sur ce blog.


En Amérique du nord, ce fut l’hiver le plus long et le plus froid jamais enregistré ; les températures furent mesurées à 4,8°C de moins par rapport à la température moyenne des 200 années antérieures … le Mississipi gela à La Nouvelle Orléans et on trouva des glaces dans le Golfe du Mexique.

Benjamin Franklin, l'inventeur du paratonnerre, fut le premier à faire le rapprochement entre l'hiver 1783-84 particulièrement rigoureux, qu'il passait en Europe, et une éruption, qu'il attribua erronément à l'époque à l'Hekla.

 

Ailleurs dans le monde : l'Afrique est touchée avec une modification du régime des pluies sur le nord du continent , et en conséquence, une baisse du niveau du Nil, qui va induire une famine en 1784 et la perte d'un sixième de la population. On relie aussi à l'éruption une exacerbation de la famine "Tenmei" au Japon.

 

Dossier-23-0270.JPGBaisse du niveau des eaux du Nil de près de 2 mètres en 1783-84 - doc. Rutgers univ. /Alan Robock.

 

Cet épisode illustre que des changements climatiques peuvent être induits, non seulement par des méga-éruptions explosives, mais aussi par des éruptions basaltiques fissurales, qui génèrent beaucoup de gaz, et ont de ce fait une influence climatique supérieure aux premières. (J-M. Bardintzeff / Volcanologie)

 

Un résumé en vidéo : "Laki, l'enfer de 1783"

 

 Sources :

- Global Volcanism Program - Grimsvötn

- Guide des volcans d'Europe - M. Krafft et de Larouzière.

- Volcanism - by H-U Schmincke - éd. Springer

- Impact climatique des éruptions volcaniques - Conséquence sur la vie et la santé des Français du 18° au 20° siècle - par Michel Lecouteur 2007. (non publié)

- LAVE Thématique n° 1, 1993, Les volcans, le climat et la révolution française par Roland Rabartin et Philippe Rocher.

Comptes-Rendus de l'académie des Sciences- série Géosciences (2005), Vol 337, n°7, P 641-651.

 

Le Tambora , et a découverte de la "Pompeï de l'est" :

 

Tambora---Rizal-Dasoeki-VSI.jpg

  Tambora - parois ouest de la caldeira - les strates superposées témoignent de la formation par étapes à partir de 41.000 avant JC -   photo Rizal Dasoeki / VSI

 

787px-Sumbawa_Topography--Sadalmelik.pngSumbawa, une île située dans le groupe des « petites îles de la Sonde » dans l’archipel indonésien, abrite un volcan tristement célèbre dans les annales de la volcanologie : le Tambora, qui forme la péninsule de Sanggar.

Carte topographique de Sumbawa - doc. Sadalmelik

C’est lui qui détient le record du plus grand nombre de victimes lié à une éruption volcanique.

 

tambora01---URI-edu-news.jpg                          La très profonde caldeira du Tambora - doc. University of Rhode Island

 

mount-tambora-1815.jpg            Le Tambora en 1815 (malheureusement date imprécisée) - doc. l'homme face aux volcans

 

L’éruption de 1815 :

L’activité commence à se manifester par des séismes ressentis jusqu’en Australie, un an avant l’éruption. (Self & al. 1989)

Le soir du 5 avril 1815, une courte éruption plinienne de deux heures, accompagnée de détonation entendu à longues distances ( jusque Makassar / Sulawesi et l’antique Batavia / Jakarta, Java) propulsa un premier panache à 33 km. De hauteur.

Le 6 avril, les retombées de cendres sont enregistrées sur Java-est.

Après quelques jours de calme relatif, une seconde phase de l’éruption débute le 10 avril vers 19h., beaucoup plus puissante. Trois colonnes de flammes s’élèvent et fusionnent…puis c’est la montagne entière qui s’embrase. Vers 20 h., ce sont des ponces allant jusqu’à 20 cm. de diamètre qui pleuvent, suivies par des poussières aux alentours de 21-22 h. Des coulées pyroclastiques dévalent les pentes jusqu’à la mer, rayant le village de Tambora de la carte.

Des explosions sourdes sont entendues jusqu’au lendemain.

 

1815_tambora_explosion---Indon-copie-3.pngIsopaques des retombées de cendres du Tambora, couvrant le sud de Sulawesi, Bali, Lombok, l'est de Java et le sud de Bornéo. -

 
Source

The base map was taken from NASA picture Image:Indonesia_BMNG.png and the isopach maps were traced from Oppenheimer (2003).

 

  Cette éruption, qualifiée de VEI 7 (GVP)  équivalente à une explosion de 800 mégatonnes. On estime le volume éjecté à 160 km³ de matériaux pyroclastiques trachy-andésitiques. Pour mieux se rendre compte du volume, les cendres relevés à Makassar /Sulawesi  avait une densité de 636 kg/m². Près du volcan, l’épaisseur des dépôts atteint une trentaine de mètres.

Les cendres recouvrent d’au moins 1 cm. une superficie de 500.000 km², et leur extension est fonction des vents de mousson souflant alors d’est en ouest ( 550 km. Vers l’ouest, 400 vers e nord et 100 vers l’est).

En mer, des îles de ponces et cendres agglomérées atteignent jusqu’à 1 m. d’épaisseur sur plusieurs kilomètres et vont gêner durant plusieurs années la navigation.

 

tambora-volcano-03.06.2009-Nasa-EO.jpgTambora, sa caldeira - La zone stratfiée de la première photo se trouve à 11 h. - photo Nasa EO 06.2009


L’éruption a décapité le volcan : d’environ 4.300 mètres avant le cataclysme, sa hauteur est passée à 2.851 m. ; une caldeira de 6-7 km. de diamètre sur 600 à 700 mètres de profondeur coiffe maintenant le volcan. Toute la végétation de l’île est détruite et la colonne éruptive atteint une altitude record de plus de 43.000 mètres.

H.Sigurdsson et son équipe pensent qu’elle a été six fois plus puissante que celle du Pinatubo en 1991.

Le tsunami consécutif à l’éruption balaye les côtes de l’archipel Indonésien , les vagues atteignant quatre mètres en moyenne.

Pendant 2 à 3 jours l’obscurité est totale dans un rayon de 600 km. accompagnée, sous le nuage troposphérique, d’une poche d’air chaud au début, puis extrêmement froid , comme rapporté de Banjuwangi, à 400 km. du volcan. Ces températures froides furent enregistrées en Inde, deux semaines plus tard.

 

Cendres et gaz ont atteint la stratosphère : les particules de cendres les plus grossières commencent à retomber dans un délai de 1 à 2 semaines, mais les plus fines resteront plusieurs mois à plusieurs années dans l’atmosphère à une altitude comprise entre 10 et 30 km., provoquant dans leur tour du monde d’étranges couchers de soleil observés en Angleterre entre le 28 juin et le 2 juillet, puis le 3 septembre et le 7 octobre. Le ciel prend des couleurs orange à rouge près de la ligne d’horizon pour passer plus haut au pourpre ou au rose.

 

Le nombre de victimes dépend des sources : outre 10.000 victime directes des nuées ardentes, on estime que sur Sumbawa, 38.000 personnes sont mortes de privation et 10.000 sur Lombok.(Zollinger 1855) ; une autre source donne 48.000 et 44.000 morts respectivement pour Sumbawa et Lombok (Petreschevsky 1949) . Des victimes additionnelles se comptent sur Bali et Java-est à cause de la famine.

Oppenheimer modifie le nombre total de victimes en 2003 : au moins 71.000 !

 

Les effets furent globaux  "une année sans été" :

Au printemps et à l’été 1815, un brouillard sec et persistant est observé dans le NE. des Etats-Unis. Le brouillard rougit et affaiblit la lumière solaire, au point qu’on peut en observer les contours à l’œil nu.

L’été 1816 est marqué dans l’hémisphère nord par des conditions extrêmes, au point qu’on qualifie 1816 « d’année sans été » - « The year without a summer ». Les températures baissent globalement de 0,4-0,7°C, suffisamment pour causer des problèmes à l’agriculture mondiale durant deux ans. En juin, des gelées sont rapportées dans le Connecticut et de la neige dans les états de New-York et du Maine. Ces conditions durent les trois mois suivants ce qui réduit la période de croissance des végétaux et aboutit à des récoltes désastreuses..

 

L’Europe  est touchée par cet "hiver volcanique" : temps froid et pluvieux, hivers neigeux suivis d’inondations, récoltes perdues, famine , épidémie de typhus … quelques 200.000 personnes meurent dans l’est et le sud du continent.

 

Cette baisse atteint 1 à 1,5°C sous la normale dans les îles Britanniques. (Oppenheimer 2003), où l’été est froid et humide, menant à un manque de récoltes et la famine. Le typhus frappe de nombreux villages en Angleterre et en Ecosse. En Irlande, près de 800.000 personnes sont infectées par l'épidémie et 4.300 périssent des ravages réunis de la famine, de la dysenterie et de fièvres.


Une anecdote intéressante : cette année là, une villa, proche du lac Léman en Suisse, abrite Lord Byron . Durant l’été, il reçoit la visite de Mary Shelley et de sa famille -Frankenstein-s_monster_-Boris_Karloff-.jpgproche ; retenus à l’intérieur à cause de la pluie incessante, Byron propose à ses hôtes d’écrire chacun une histoire de fantôme. Byron écrit un scénario fragmentaire qui permit à un ami de s’en inspirer pour écrire Dracula. Mary Shelley, inspirée par la lecture des Fantasmagoriana et sous l’influence de l’opium, fait un cachemar où elle a une vision « d’un étudiant pâle penché sur la chose qu’il avait animé ». Elle achève d’écrire Frankestein au printemps 1817.

Frankestein, ou le Prométhée moderne, est considéré comme le roman précurseur de la science-fiction.

Photo de Boris Karloff, dans une interprétation de Frankestein.


Cette période coïncide  avec la publication du poème de lord Byron : " Darkness " , dont voici les premiers vers :

                    I had a dream, which was not all a dream.
                    The bright sun was extinguish'd, and the stars
                    Did wander darkling in the eternal space,
                    Rayless, and pathless, and the icy earth
                    Swung blind and blackening in the moonless air ;   ...

 

En France, en divers endroits, les journaux parlent de "crise de subsistance" et relatent le prix des céréales at autres denrées en hausse spéculative, ainsi que la détresse d'une population dénutrie. 

En 1816, une épidémie de péripneumonie frappe la Mayenne, région pauvre, où les familles s'entassent dans des huttes mal isolées ... les médecins relèvent comme cause présumée de l'épidémie , outre la prédisposition individuelle, les mauvaises nourritures, des logements peu salubres, et l'exposition aux brusques changements de température.

En 1817-18, une épidémie de dysenterie s'étend du Havre à toute la Normandie, en cause les alternatives brusques et fréquentes de température. (Michel Lecouteur - réf.en sources)

 

Découvertes archéologiques :


Un peuple oublié git, carbonisé, sous les cendres du Tambora.

Le volcanologue Haraldur Sigursson, basé à l’université de Rhode Island, va retrouver ses traces grâce à un radar. Les fouilles, réalisées en association avec l’Institut indonésien de volcanologie en 2004, se sont avérées de suite prometteuses.

 

excavation_3---URI-edu-news.jpg                               Tambora , le site de fouilles - doc. University of Rhode Island

 

Sumbawa---Tambora-fouilles---URI-news-bureau.jpg                                     Résultat de fouilles - doc. University of Rhode Island

 

  Il a retrouvé dans une ravine, sous 3 mètres de cendres, les traces d’une habitation et des plats de bronze, des pots de céramique intacts, ainsi qu’une femme carbonisée et enveloppée de lave au moment où elle s’apprêtait à saisir une bouteille en verre, qui a fondu sous l’effet de la chaleur. Les objets présentent une parenté avec ceux circulant à cette époque au Vietnam et au Cambodge et témoignent dun certain niveau de vie. Un autre cadavre est retrouvé figé devant sa porte.

 

Ce village, situé à cinq kilomètres dans les terres, était à l’abri des pirates qui contrôlaient le trafic maritime … et il est plus que probable que ses habitants furent ensevelis et carbonisés par une coulée pyroclastique.

Les trouvailles archéologiques suggèrent une culture propre à Sumbawa, balayée brutalement et complètement par l’éruption de 1815. Les décors retrouvés sur les objets usuels laissent penser à un langage en relation avec celui des groupes Mon-Khmer, et différents des parlers indonésiens. La civilisation de Sumbawa avait d'ailleurs intrigué les explorateurs Hollandais et Britanniques au début des années 1800 ; ils furent surpris d’y entendre un langage parlé nulle part ailleurs en Indonésie.

Cette découverte ouvre en fait une fenêtre sur une culture que Sigurdsson n’hésite pas à appeler " La Pompéï de l’Est ".

 

Chichester_canal_--circa-1828----jmw_turner.jpg                                     J.M.W.Turner - " Chichester canal " circa 1828.

 

L'éruption du Tambora n'a pas laissé que des victimes ... elle a aussi permis l'évolution artistique de William Turner, qui est passé d'une peinture convenue à la magnification de la couleur; son attirance pour la représentation des atmosphères le place comme un des précurseur de "l'impressionnisme". Il ira même plus loin, en supprimant le côté descriptif et se limitant à la juxtaposition colorée, comme dans son "coucher de soleil" de 1840 ... selon certains, "les prémices de l'abstraction lyrique", un autre mouvement de la peinture moderne.

 

coucher-de-soleil---W.Turner-1840.jpg                                          J.M.W.Turner - "Coucher de Soleil" - 1840

 

Sources :

- Global Volcanism Program - Tambora

- University of Hawaii at Hilo : Climactic effects of the 1815 eruption of Tambora – by Jacob Smith. - link

- Smithsonian magazin - Blast from the past - link

- URI - University of Rhode Island - Lost kingdom of Tambora - link

- Darkness, poème de Lord Byron - link

- Impact climatique des éruptions volcaniques - Conséquence sur la vie et la santé des Français du 18° au 20° siècle - par Michel Lecouteur 2007. (non publié)

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